samedi 31 mai 2008

Piratage - Pascal Nègre : "Je ne cherche pas à attaquer les internautes"

Piratage - Pascal Nègre : "Je ne cherche pas à attaquer les internautes"
Interview - Pour LCI.fr, le PDG d'Universal, Pascal Nègre, défend la prochaine loi contre le piratage et revient sur son image de "grand méchant".
"Les ayants droit et les Français sont sur la même longueur d'onde", se réjouit-il après la publication d'un sondage.

TF1 29/05/2008, par Olivier LEVARD


Pascal Nègre contre-attaque. Avec la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), le bouillonnant patron d'Universal publie un sondage selon lequel les Français ne sont pas aussi hostiles qu'on veut bien le croire à la future loi sur le piratage que les majors réclament à cor et à cri.

Selon l'enquête de l'Ifop commandée par le SCPP, 88% des Français ayant déjà téléchargé illégalement de la musique ou des films cesseraient même de le faire s'ils recevaient deux messages d'avertissement, ce que prévoit la loi. "Les Français ont bien compris l'esprit de la future loi, qui entend faire en priorité de la pédagogie et limite la répression à de simples suspensions temporaires d'abonnement Internet, réservées de surcroît aux fraudeurs endurcis", s'est déjà enthousiasmée dans la foulée la ministre de la Culture, Christine Albanel, qui portera prochainement le projet à l'Assemblée.

Quelques jours après la pétition contre la loi lancée par le mensuel SVM, Pascal Nègre commente ce sondage qu'il juge encourageant. Dans le hall de l'Olympia, le patron d'Universal revient pour LCI.fr sur la controverse autour du texte, son pontentiel contre le piratage, et même sur son image de "grand méchant patron" auprès des internautes.

LCI.fr : Il y a déjà eu de nombreuses offensives contre le piratage en France. Pourquoi pensez-vous que la prochaine loi est "la bonne"?

Pascal Nègre, PDG d'Universal : Parce que tout à coup, il y a une sorte d'adéquation entre une filière - celle du disque, du cinéma, de la télévision et mêmes les fournisseurs d'accès - et l'avis des Français. Notre sondage le montre, grosso modo 80% des Français, et même ceux qui téléchargent illégalement, nous disent : "Eh bien oui, il faut payer les artistes, les auteurs, les compositeurs". 74% nous disent : "Eh bien oui, cette loi, elle n'est pas idiote, vous allez nous envoyer des messages et, effectivement, on arrêtera de télécharger illégalement au bout de deux". Ce sondage est apaisé : les ayants droit et les Français sont sur la même longueur d'onde. L'idée de la loi est de dire : "Si vous recommencez trois fois, on va vous couper l'accès à Internet". Pendant une période, une courte période, vous n'aurez plus accès à internet. Comme lorsque vous perdez tous vos points avec votre permis de conduire, vous n'avez plus accès à votre bagnole.

LCI.fr : Certains s'y opposent toujours. C'est inévitable?

P. N. : Bien sur, il y en a encore 10% qui disent : "Jamais, vous pouvez m'envoyer tous les messages de la terre, je continuerai à pirater, je vous emmerde". Bon, très bien. Mais globalement, il se passe quelque chose de très intéressant.

LCI.fr : Des hommes politiques et des spécialistes du Web signent pourtant dans SVM une pétition hostile aux accords Olivennes à la base de la loi. Il y a déjà 10 000 signataires...

P. N. : Je n'ai pas dit que 100% des Français étaient derrière cette loi.

LCI.fr : C'est donc une "minorité agissante" ?

P. N. : Voilà, oui, c'est ce que nous indique le sondage...

LCI.fr : Qu'est-ce que vous inspire, malgré tout, cette pétition ?

P. N. : Je remarque qu'il n'y a pas beaucoup d'artistes, parce qu'ils sont conscients du fait que cette loi est dédramatisante. Elle permet d'abord d'informer, de sensibiliser, d'envoyer des messages, ce que l'on fait dans les autres pays depuis cinq, six ans... D'ailleurs, c'est sûrement pour ça que le business du téléchargement légal est beaucoup plus développé en Angleterre et en Allemagne qu'en France. Chez eux, il y a déjà eu ces envois massif d'e-mails : "On vous a repéré, vous n'avez pas droit de télécharger illégalement".

LCI.fr : Selon un extrait de la pétition, "La surveillance sans pareille des activités des internautes que ces mesures impliquent n'est pas digne d'une société dans laquelle nous aimerions vivre". Qu'en pensez-vous?

P. N. : Mais il n'y aura aucune surveillance des internautes ! Ce que l'on va surveiller ce sont les œuvres. Cela existe déjà, cela a été approuvé par la CNIL. Elle avait dit non dans un premier temps et cela avait été cassé par le Conseil d'Etat. Si on lui demande son avis sur le projet de loi, elle va probablement dire qu'elle est contre, mais c'est simplement le même mec qui va dire la même chose. Ce système existe pourtant partout en Europe où ce sont directement les opérateurs privés qui envoient les e-mails d'avertissements. Ici, cela va passer par une haute autorité qui protége l'internaute, plus qu'à l'étranger.


http://www.lebardeswareziens.net/doc5img/PascalNegre2.jpg


LCI.fr : Le combat autour de cette loi se résume donc à une bataille "lobby contre lobby"?

P. N. : Pas du tout. On nous dit qu'on appartient au passé, qu'on est rétrogrades, mais c'est simplement une attaque politicienne de députés de gauche qui pensent qu'en termes d'image, c'est chic et branché de dire que les jeunes ont raison. En même temps, les jeunes nous disent maintenant eux-mêmes : "Eh bien oui, sifflez la fin de la récré!".

LCI.fr : L'idée d'une licence globale qui aurait permis à chacun d'accéder sans limite à la culture n'a jamais vu le jour. Quelle alternative proposent les majors?

P. N. : Donner l'accès aux catalogues, c'est une idée que l'on partage. Notre réponse à la licence globale, c'est l'abonnement. Simplement, on n'est pas pour la licence globale qui est une forme de taxe. Vous pouvez maintenant choisir un abonnement à un prix déterminé avec ceux qui le proposent.

LCI.fr : Universal s'en sort globalement beaucoup mieux que ses concurrents qui ont parfois annoncé plusieurs plans sociaux. Comment l'expliquez vous?

P. N. : Sûrement parce qu'on est plus agressifs sur tout ce qui se fait sur Internet. Universal est souvent le premier sur les nouveaux modèles qui émergent. La première plateforme de téléchargement légal, c'est nous. On a aussi été très actifs sur la téléphonie, avec Universal Music Mobile, en 2001 ou les forfaits de titres. Nous sommes aussi les premiers à proposer nos catalogues avec un fournisseur d'accès, Neuf Cegetel, ou encore à avoir signé avec Dailymotion il y a bientôt un an et demi. Nous venons aussi de lancer la carte SoMusic avec la Société Générale (Voir notre article). A terme, le but c'est que l'ensemble des catalogues, pas seulement ceux d'Universal, soient présents sur l'ensemble des offres.

LCI.fr : Vous n'avez pas apprécié un article publié récemment sur notre site. Vous niez avoir "mangé votre chapeau" dans l'affaire Deezer comme nous l'écrivions....

P. N. : C'est en effet faux, je n'acceptais simplement pas qu'on mette en ligne notre catalogue sans signer de contrat. Si on a mis du temps a signer avec Deezer, c'est qu'on était absolument pas d'accord avec la technologie qu'ils utilisaient au départ car c'était une machine à pirater. Aujourd'hui, vous ne pouvez plus y télécharger les fichiers ou vous connecter à partir de n'importe quel pays. On a donc été les premiers à signer pour une quarantaine de pays car, technologiquement, on était rassurés.

LCI.fr : Vous êtes devenu un symbole de la lutte contre le piratage. Comment l'expliquez-vous?

P. N. : Il se trouve que j'ai été le premier à être convaincu qu'a partir du moment où vous pouvez télécharger un titre gratuitement, vous le faites. Tant qu'on ne transforme pas la "musique gratuite" en "musique gratuite mais risquée", vous allez continuer, ça me parait normal. Cela fait maintenant 14 ans que je dirige Polygram, devenu Universal, je suis donc aussi le PDG qui est là depuis le plus longtemps pour parler de piratage. Vous connaissez les journalistes : à partir du moment où vous appelez une fois quelqu'un pour parler de piraterie, la prochaine fois, vous appellerez le même. Donc à partir d'un moment, Pascal Negre, c'est grosso modo la piraterie et la Star Academy....

LCI.fr : Vous avez tout de même un coté grande gueule, vous faites souvent des déclarations assez fracassantes....

P. N. : Pas fracassantes, je ne fais que dire que je ne crois pas au modèle unique de la gratuité. Bien sur, si vous regardez un clip sur M6 c'est gratuit, il y a une pub avant, mais je ne pense pas que c'est ce système-là qui financera l'ensemble de la production. Pour moi, Internet est une révolution formidable, à la fois pour détecter des talents et pour créer des buzz sur les artistes, c'est un outil de médiatisation et de marketing... Nous l'utilisons évidemment, et de plus en plus.

LCI.fr : Cela n'est jamais difficile d'être "détesté"par tant de gens?

P. N. : C'est vrai si vous tapez "Pascal Nègre" sur Google... Mais je m'en fous : si vous venez avec moi dans la rue, les gens sont très sympas. Et quand je vois des internautes qui disent "de toute façon, il ne vend que de la soupe", c'est tellement faux ! Si produire Bashung, Grand Corps Malade, Duffy, Amy Winehouse ou Portishead, c'est vendre de la soupe alors, dans ce cas, c'est la soupe que j'aime, que j'écoute et que je revendique... D'ailleurs, je ne cherche pas à "attaquer" les internautes. Je suis juste viscéralement convaincu qu'on doit défendre la création française parce qu'on a réussi avec les artistes quelque chose de magique. Avec le Japon, on est un des deux pays au monde ou la proportion des disques vendus par des artistes nationaux est la plus forte : 70% sont des disques de chanson française. De la techno au rap en passant par le R'n'B ou le rock, la nouvelle chanson française et même la Starac', il y a une vrai création française. C'est unique.

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